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Portrait - Audrey-Flore Ngomsik, Docteure en physique-chimie analytique, CEO et co-fondatrice de Trianon Scientific Communication

Mardi 13 octobre 2020
En bref
Qui ? 
  Audrey-Flore Ngomsik, 44 ans, docteure en physique-chimie analytique de l’université Pierre et Marie Curie à Paris (2002-2006) et de l’école Chimie Paris.
Quoi ?  
  CEO et co-fondatrice de Trianon Scientific Communication (2020) avec Dr Markus Fanselow.
Domaines d’expertise ? 
  Développement durable et innovation, management du changement, diversité et inclusion.

 

Accompagner les entreprises pour inclure du développement durable dans leurs activités, sur le plan scientifique mais aussi social. C’est le défi que relève chaque jour Audrey Ngomsik depuis de nombreuses années d'expérience internationale et depuis peu en Belgique grâce à sa société créée en mars 2020. Les défis, Audrey-Flore Ngomsik connaît. Même pas peur.

« Je suis une scientifique de la séparation, explique t-elle. La chimie de la séparation, il y en a partout. Tout ce qui relève de la dépollution, par exemple, c’est de la séparation. »

Aider le CEA à purifier l’eau de refroidissement des centrales nucléaires, développer une technologie qui vise à augmenter l’espérance de vie des pompiers en nettoyant leurs vestes de sécurité et donc réduire les maladies pulmonaires, développer des matériaux isolants peu encombrants, déteindre le textile en fin de vie et le transformer en isolant, concevoir un déodorant qui libère ses actifs quand le pH de votre peau change, reconvertir le carbone, l’hydrogène, l’oxygène des surplus alimentaires pour trouver des alternatives naturelles aux éthanol et autres  méthanes des produits issus du pétrole… tout cela figure au palmarès de l’entrepreneuse.

La chimie au secours des consommateur·rice·s

Salariée pendant 20 ans dans différentes entreprises à travers le monde, la docteure en physique-chimie a utilisé les principes de la chimie verte durant toute sa carrière. « L’idée, développe-t-elle, est d’utiliser le moins de ressources possibles et aussi de créer des produits qui ne nuisent pas aux consommateur·rice·s. Je suis assez convaincue que l’explosion des cancers est due, entre autres à l’usage de solvants organiques. On sait depuis 50 ans, et ce n’est qu’un exemple, que boire du café décaféiné pouvait donner le cancer, des années plus tard. Car le solvant utilisé pour séparer la caféine du café était nocif, même s’il n’en restait qu’une toute petite quantité dans le produit fini. Aujourd’hui, plus personne n’utilise cette technique. Elle est remplacée par le CO2 supercritique, le CO2 que vous expirez porté à une certaine température et à une certaine pression -, solvant totalement inoffensif et totalement absent du produit final. Mon rôle est, entre autres, de trouver des applications différentes de cette technologie, ou d’autres technologies vertes. »

Pragmatique, elle pointe un élément clé pour notre avenir à toutes et à tous : « Pour implémenter des technologies vertes, il faut pouvoir prouver qu’il y aura un retour sur investissement pour l’entreprise. Le consommateur peut agir à son niveau mais le véritable changement doit venir des industries.»

La ligne verte

« Ma ligne a toujours été d’apporter une réponse durable à une question, poursuit-elle, même si ce n’est pas ce qui m’est demandé au départ. Nous devons éviter, nous scientifiques, que la solution soit pire que le problème. »

A la question habituelle des forces et des freins rencontrés par les femmes entrepreneuses, Audrey Ngomsik apporte aussi une réponse inhabituelle : « Je suis une femme scientifique, on est déjà peu, mais en plus je suis une femme scientifique noire et là on est encore moins, surtout en chimie-physique. » S’en est-elle sentie pénalisée ? « Oui ! On dit d’ordinaire qu’une femme doit travailler le double d’un homme, pour arriver au même niveau professionnel. Une femme noire doit travailler quatre fois plus qu’un homme. » 

Sans parler des remarques incroyables mais vraies qu’elle encaisse chaque jour : « J’ai beaucoup travaillé à l’étranger, en Asie notamment et là-bas, ce qui compte, c’est le diplôme et les compétences. J’y étais une scientifique française, j’ai oublié que j’étais noire. Mais je l’ai redécouvert en Belgique. Un manager très haut placé m’a dit « J’ai Googlé « femme française », elle ne vous ressemble pas. » Dans le train, quand je voyage en première classe, le contrôleur me dit « la deuxième classe c’est par là », sans même regarder mon ticket. » Ce n’est pas grave, c’est la vie, dit-elle en riant. Les gens diront « c’est dégueulasse » mais jamais aucun ne s’est levé pour s’opposer. Moi, je ne dis rien. Je ne veux pas créer d’incident. Notre problème, c’est qu’on essaie de faire oublier aux gens qu’on est noir. On se fait discret. »

 

Socialement durable

La CEO ne pense pas devoir faire appel à un financement. Dans son repositionnement, avancer calmement et consommer autrement occupent une place clé. « On a fait le pari, - et c’est une décision qui a été prise en famille -, de ne pas me verser de salaire les 3 premières années. » On sent bien que la force de ce projet est le soutien familial, outre l’opiniâtreté de la patronne. Mais il existe des obstacles : « Les difficultés principales sont la solitude et la gestion du temps. Je gère le bateau seule. Parler à quelqu’un fait parfois du bien, c’est pour cela que j’ai fait appel à différentes structures comme l’UCMCrea Job, le Smart Gastronomy Lab de Gembloux et Cap Innove à Nivelles, le réseau EEN. C’est indispensable pour échanger avec d’autres, avoir des idées, se faire aider. »

Effet collatéral ultra positif ? La CEO de Trianon Scientific Communication aime sortir des cases : « J’admire les autodidactes. Quand j’engage des gens, j’essaie toujours de savoir s’ils peuvent assumer le travail, sans regarder s’ils ont le diplôme. Il m’arrive de leur dire « Je t’engage et tu passes le diplôme en cours du soir ». Ça donne des résultats fantastiques. Et ça, c’est du développement durable au niveau social ! Donner envie aux gens d’apprendre plus, de faire plus et de devenir plus. » 

Enième biais, Audrey Ngomsik travaille, autant que possible, avec des femmes mères de famille. « Si une femme a des enfants, je l'engage. Ce sont les meilleures Project Managers que j’ai jamais vues ! Comme pour les personnes noires ; elles n’ont pas les mêmes opportunités. J’espère avoir créé l’entreprise qui offrira ces opportunités et sera un modèle pour quelqu’un comme moi car je n’en ai pas eu. »

Texte et photos : Véronique Pipers

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